Revue Internationale de l’animation : 15e anniversaire

  • 21 janvier 2025

Ressources pédagogiques Métiers de l'animation

Jean-Marie Lafortune, Professeur au département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal (UQAM), et rédacteur pour la revue internationale “Animation, territoires et pratiques socioculturelles” nous propose une présentation du numéro 26 (Automne 2024) : “L’animation culturelle en mutation : une analyse diachronique des discours (2010-2024)” par Jean-Marie Lafortune et Olivier Picard-Borduas.

“Ce numéro spécial de la Revue permet non seulement de célébrer 15 années de publication permettant de suivre les inflexions que le champ a connues depuis 2010, mais également de cerner ses développements à venir dans une douzaine de pays où elle a trouvé un terreau fertile.

Il se divise en deux parties complémentaires. La première, signée par Jean-Marie Lafortune et Olivier Picard-Borduas, pose un regard rétrospectif sur les 25 numéros publiés, en regroupant chronologiquement les thèmes abordés dans les articles parus et en dépeignant la provenance géographique et disciplinaire des auteurs afin de rendre compte des modalités d’animation qui se déploient et des pratiques socioculturelles qu’elle recoupe compte tenu des spécificités des territoires concernés.

La seconde partie accueille une série de textes prospectifs sur l’évolution de l’animation à l’horizon 2030-2035. Nous avons convié à cette fin les collègues à répondre aux questions suivantes : quels défis relèvera-t-elle, quelles finalités poursuivra-t-elle, quelles formes et modalités prendra-t-elle, dans quels milieux et auprès de quelles populations se pratiquera-t-elle, sur quelles formations s’appuiera-t-elle, avec quels mouvements sociaux se liera-t-elle et quelles limites (professionnelles, sociales, culturelles, politiques) affrontera-t-elle ?

Un panorama assez vaste et contrasté nous est offert par les contributions de Marianne Block, Marine Fontaine, Lore Martin, Marie Pirotte et Julie Reynaert (Belgique), Fernando Curto et Mario Viché (Espagne), Véronique Bordes et Luc Greffier (France), Joana Campos, Cristina Cruz et Laurence Vohlgemuth (Portugal), Sylvia Garcia Delahaye et Caroline Dubath (Suisse), Sandra Llosa (Argentine), Izabel Solyszko (Colombie), Christian Cécile (Guyane), Martin Lussier et Ina Motoi (Québec), Aïcha Boukhrissa (Algérie) et Koffi Roland Bini (Côte d’ivoire).

Il frappe d’emblée en parcourant ces textes, qu’alors qu’un univers conceptuel et de valeurs de référence est partagé par les chercheurs et les praticiens, les systèmes d’animation varient significativement selon les contextes sociohistoriques, géopolitiques, économiques et culturels où ils s’insèrent. Bien qu’elle s’appuie sur des perspectives critiques communes, l’animation tire ses caractéristiques essentielles de ses processus d’institutionnalisation, où se jouent la reconnaissance sociale, incluant les ressources accordées par l’État qui cadrent les finalités et les modalités de pratique, d’une action militante, qui s’appuie sur des parcours d’implication sociopolitique, ou professionnelle, qui requiert ses formations académiques.

Si les articles parus depuis 15 ans (Partie 1) en attestent, la réalité anticipée de l’animation en 2030 (Partie 2) le confirme. D’une part, le lexique de l’agir culturel est dominant : éducation populaire, animation sociale, organisation communautaire, activités de conscientisation, action collective, mobilisation des ressources, mouvements sociaux. D’autre part, les diagnostics de territoire, soit la manière de définir les problématiques, induisent des objectifs et des méthodes de travail qui découlent des cadres sociaux existants, des populations ciblées et des moyens disponibles.

Partout, la tâche des animateurs consiste à aider tant les individus, les groupes que les collectivités à trouver leurs repères et à éliminer les obstacles qui entravent leur épanouissement. Généralisée au Nord et plus rare au Sud, la professionnalisation de l’animation s’accompagne d’une interrogation sur sa fonction sociale. En effet, incorporée dans des cursus universitaires, qui ont pour effet de transformer des jeunes des classes populaires en membres des classes moyennes, et enrégimentée dans des ordres professionnels, qui substituent l’éthique engagée par le respect de codes déontologiques, l’animation semble moins au service des citoyens dans une dynamique axée sur la prise en charge autonome de leur propre développement issue d’en bas que d’une régulation politico-administrative découlant d’une logique hiérarchique venue d’en haut. Mais les réalités sont évidemment plus complexes.

Dans les pays du Nord, 40 ans de néolibéralisme semble avoir épuisé le potentiel transformateur de l’animation, non seulement en en modifiant les formations et les modalités de mise en œuvre, mais surtout en rendant caduque ses velléités visant un monde partagé et des aspirations au bonheur qui ne suivent pas uniquement les voies de l’accumulation matérielle.

Alors que la doctrine néolibérale accorde la primauté aux droits sur la participation, c’est non seulement l’entraide entre les populations aux marges qui s’érode, mais les régimes démocratiques qui vacillent et la vie civique qui régresse. Au sein des sociétés post-industrielles qui ont délocalisé leurs activités industrielles (et agricoles) à compter des années 1980 et ainsi enrayé la transmission des cultures ouvrières, que reste-t-il des bases d’une solidarité populaire (dont l’absence de relève dans le milieu associatif est un symptôme fort) ? Devant la « libération » des individus de l’emprise des institutions au moyen des outils technologiques, dont les algorithmes agissent comme des « dispositifs d’accompagnement personnalisés », l’animation aurait-elle perdu ses bases et ses repères ? Aurait-elle suivi le même destin que les social-démocraties[1], aujourd’hui disparues ?

Il faut peut-être se tourner vers le Sud pour renouer avec les racines de l’animation. En phase d’industrialisation, les sociétés africaines tentent de transposer le modèle du Nord, qui requiert une main d’œuvre dédiée et des formations spécialisées, en l’adaptant à leurs réalités culturelles, économiques et politiques. En voie d’institutionnalisation, bien que dépendants des réalités politiques, les dispositifs se multiplient à la faveur de la croissance économique et démographique qui marque le continent.

La trajectoire de l’animation en Amérique latine, qui accompagnait une phase industrielle initiale (1930-1970), stagne en l’absence de phases subséquentes qui auraient remodelé les sociétés, si bien que le modèle intègre toujours les principes de l’organisation communautaire bénévole sans fort ancrage institutionnel. Comme dans toutes les sociétés clivées autour d’un antagonisme de classes explicite, l’ascenseur social ne fonctionne pas et les classes moyennes peinent à émerger. La révolution culturelle du temps libre, soit le renversement du rapport entre les valeurs travail-loisir, tarde à s’enclencher hors des plus riches centres urbains, le statut de chaque citoyen découlant de la place qu’il occupe dans le système de production.

Les périodes historiques des sociétés semblent toutefois se télescoper avec l’entrée de l’humanité dans le nouveau régime numérique, qui réfute toute transmission entre les générations et promeut une libération des individus en les connectant au sein de communautés choisies et en leur offrant des prothèses techniques pour compenser leurs limites physiologiques.

Dans ce contexte, qui suppose l’accès aux services numériques, l’animation cède à la régulation algorithmique promue par les propriétaires des plateformes et plus prévisible au plan politique, aux blogueurs et aux influenceurs qui régissent la créativité et la vie démocratique des mondes virtuels.

Les fondamentaux de l’animation ont-ils disparu ou se reconfigurent-ils aujourd’hui, notamment autour des questions écologiques et du dialogue interculturel que la globalisation, réalisée au bénéfice des détenteurs de capitaux, à rendus centraux pour l’avenir des sociétés.

L’animation est-elle encore source d’espoir ? De quelle manières les luttes sociales situées, visant plus de justice sociale, de dialogue entre les citoyens et les groupes sociaux, de présence dans les arènes politico-médiatiques, d’occasions d’épanouissement dans le temps libre, requièrent encore de l’animation (entraide et mobilisation) ?”