Nous travaillons dans le même bâtiment, elle au premier étage et moi au troisième. Et pourtant, nous ne nous connaissons pas… Moi, on pourrait dire que je suis DSDEN « canal historique », puisque j’ai toujours fait partie de l’Education Nationale. Virginie Devolder est arrivée plus tard, avec le Service Départemental à la Jeunesse, à l’Engagement et aux Sports. Alors, on a fait de la place, on a libéré des bureaux, mais les nouveaux sont arrivés avec le covid … Et Virginie et moi ne nous étions pas encore rencontrées.
Mais aujourd’hui, c’est le jour J, soleil, café, viennoiseries, on se parle enfin, je fais son portrait, façon « portrait chinois » …
Et c’est parti !
« Lorsque tout marche bien, il est grand temps d’entreprendre autre chose »
Si elle était un chemin, Virginie serait celui qui passe derrière sa maison : elle s’y promène en regardant les Pyrénées.
Ce sont elles, les montagnes qui lui ont fait choisir l’Ariège au moment de quitter sa Normandie natale. Aucun regret, même si les forêts lui manquent un peu.
Là-haut, Virginie traçait une autre route dans le champ de l’animation, directrice d’un accueil de loisirs, et heureuse de l’être ! Mais elle me cite Fernand Deligny :
« Lorsque tout marche bien, il est grand temps d’entreprendre autre chose ».
Alors, halte à la routine, un croisement et Virginie bifurque pour devenir « conseillère d’éducation populaire et de jeunesse ».
Une nouvelle voie professionnelle, mais sur laquelle elle met toujours ses pas dans ceux historiquement tracés par les mouvements de l’éducation populaire.
C’est ça qui est important, c’est ça qui fait sens pour Virginie, c’est ce qui lui permet de garder le cap dans les virages. Alors, on évoque ensemble le temps où beaucoup d’enseignant.es avaient trouvé leur voie en passant eux aussi par le cheminement de l’éducation populaire et les sentiers de l’animation.
Lier et relier
Si elle était une langue, elle serait le javanais, mais pas celui de Java, non… Elle serait l’autre, qui tisse vraies et fausses syllabes pour inventer une nouvelle langue. Ça ne m’étonne pas, dans son métier, Virginie aime tisser…
Elle tisse des liens entre l’éducation formelle de l’école, et l’éducation non formelle. Alors pour elle, le rattachement de son service à la DSDEN a du sens. Pour contribuer au tissu éducatif, elle accompagne les accueils collectifs de mineurs, faisant ainsi écho à son premier métier qui lui a donné une pièce importante du patchwork : les loisirs collectifs de qualité.
Elle tisse des liens entre les jeunes qui s’engagent dans un service civique et les structures qui les accueillent. Référente service civique au sein du SDJES, Virginie veille à ce que ce temps permette à chacun d’y dérouler le fil de sa propre construction.
Elle tisse les liens de la vie associative, entre les associations, les territoires qui les hébergent, les bénévoles et les salariés qui les font vivre. Et Virginie tricote les projets, les besoins, les ressources, une maille à l’endroit, une maille à l’envers…
En liant, en reliant, en tissant, en tricotant, Virginie invente de nouvelles formes, qu’elle met en mouvement, et ainsi elle « donne vie » à des projets, elle les anime au sens étymologique du terme.
Et devinez quoi … un de ses loisirs, c’est la couture! Choisir de beaux tissus, les assembler, et inventer des accessoires utiles et beaux, chacun répondant exactement au besoin pour lequel il a été créé …
Une chaine d’humanité
Si elle était un âge de la vie, sans hésitation, elle serait la quarantaine !
Quatre décennies de rencontres, et Virginie me parle des amitiés, celle avec qui elle a passé le concours pour devenir conseillère d’éducation populaire et de jeunesse, celle avec qui elle a embarqué pour un road trip en Suède, celles qui sont restées en Normandie, celles d’ici.
Dans son métier aussi, ce qui lui plaît, c’est de faire « avec », avec les collègues, avec les professionnel.les, avec les jeunes, rien n’est solitaire, tout est relation, interactions, elle aime faire partie d’une chaîne humaine, d’une chaîne d’humanité.
Quatre décennies d’émotions, et Virginie parle musique, un art qui prend une place si importante dans sa vie, pas un jour sans… D’ailleurs, elle chante, elle a un passé d’organiste, puis de percussionniste, et elle a même fait des études de musicologie. Et les émotions d’une ballade, d’un paysage, d’un moment de rencontre avec la nature … Dans son bureau, les affiches me parlent aussi des émotions d’un spectacle, d’un portrait d’artiste…
Transmission
Bref, quatre décennies de vie à mettre au service de toutes celles encore à venir. Car Virginie croit à la transmission : de soi à soi, puisque toutes nos expériences nous nourrissent, mais surtout vers les autres. Partager les expériences, contribuer à la formation sont des aspects de son travail qui la motivent. Sa sensibilité artistique lui donne une grille de lecture sensible des projets qu’elle accompagne : elle a pour ambition de « faire dans la dentelle », de privilégier la qualité à la quantité. Elle veut valoriser à tous les âges de la vie des compétences considérées parfois ou ailleurs comme « à la marge », secondaires ou accessoires. Il n’y a pas d’âge en éducation populaire. Virginie revendique les enjeux politiques de son métier qui porte une visée de transformation sociale. Alors, dans ce monde toujours pressé, elle l’affirme : à tout âge, il faut prendre le temps d’avoir le temps !
Si elle était une œuvre d’art, Virginie serait un autoportrait de Frida Kahlo. Ça tombe bien, c’est le moment de faire les portraits photos pour illustrer ce texte… mais elle préfère me prévenir tout de suite, elle n’aime pas du tout être photographiée. Tant pis, c’est dommage … on va quand même le faire, une dedans, une dehors, hop, c’est fait… En quittant Virginie, la Frida Kahlo accrochée au mur au-dessus de son bureau me fait un sourire de ses lèvres rouges, et me chante « Viva la vida » !
Interview et portrait réalisés par Christine Escande