Il est des rencontres qui nous laissent pantois. Alors qu’on pense les connaitre, certaines personnes se révèlent dans toutes leurs dimensions lorsque, au détour d’un après-midi ensoleillé, on s’aperçoit avec stupéfaction qu’on ne voyait que la partie émergée de l’iceberg.
Assurément, Mathieu Sablé est de ces gens riches d’expériences multiples, que l’on gagne à mieux connaitre.
Enfant de son pays
Enfant « pur produit de son terroir » dira-t-il à plusieurs reprises. Lequel ? Le Tarasconnais…
Pas celui de Provence, non. Le nôtre. Celui où confluent les vallées des montagnes, celui du carrefour des routes transfrontalières. Comme autant d’invitations à justement éprouver ces frontières, et à explorer des chemins multiples, tout en sachant, avec Machado, qu’au final la destination compte peu.
Caminante, son tus huellas,
El camino y nada más ;
Caminante, no hay camino,
Se hace camino al andar.
Mathieu a grandi à Bompas. Son enfance est bercée de rencontres et de découvertes, sur son territoire évidemment, mais pas que, grâce à des parents qui le prendront souvent dans leurs valises, pour découvrir d’autres ailleurs, parfois lointains.
Des études ariégeoises, puis toulousaines lui indiquent une voie : la gestion administrative, via un Bac puis un BTS. Sauf que l’homme est rebelle. Les chemins tracés d’avance, malgré tout le confort qu’ils peuvent promettre, ne sont pas ceux qu’il emprunte d’évidence. Alors c’est une brève traversée des Pyrénées au service d’un fournisseur d’énergie bien connu. Mais là encore, force est de constater que la motivation n’est pas totale.
La vocation naît un peu par hasard, un peu par relations, beaucoup par croisements avec des personnages marquants. Au fil de ses rencontres, Mathieu se voit proposer des interventions en ALAE à Tarascon. Il tente, comme toujours, et se rend compte que le travail d’animation résonne en lui.
Alors, en 2012, il s’engage, se forme et accepte les diverses missions qu’on lui confie. Auprès des tout petits de maternelle d’abord, puis des grands, dans des écoles de ville et de villages, qui l’amènent à découvrir et à s’adapter aux contraintes inhérentes à chaque lieu. Il participe alors à un travail remarquable, notamment valorisé par la plateforme Territoires Éducatifs au travers de ce film documentaire “Ces liens qui nous construisent”, sur les complémentarités entre acteurs éducatifs dans lesdites écoles rurales.
« Quand les adultes avancent dans la même direction, les enfants grandissent bien » dit-il.
Enfin, il va jusqu’à assumer la gestion du service jeunesse du territoire. L’accompagnement des jeunes du Pays de Tarascon laissera des traces, encore palpables aujourd’hui.
Une carrière en mouvement
Mais, comme vous l’avez peut-être déjà pressenti, la routine est assez étrangère au fonctionnement du personnage. Une des constantes de Mathieu réside dans une perpétuelle remise en question.
En 2019, ce sont les questions liées à l’accompagnement des plus fragiles qui le préoccupent. Aussi, quand on lui propose de devenir Accompagnant d’Élèves en Situation de Handicap, vous pensez bien que la décision est vite prise. Il commence au collège de Tarascon, au sein duquel de nouvelles rencontres le marquent profondément, pour certaines malheureusement accompagnées de leur lot de peine.
Mobilisé dès les premiers temps du Covid, il devient un élément important de l’établissement, s’engage dans la vie de celui-ci, s’affranchissant des frontières professionnelles ou corporatistes, au bénéfice de la communauté éducative.
Puis on lui propose Vicdessos, car certaines situations, là-haut, auraient tout à gagner à profiter de ses compétences. Il accepte, bien entendu mais ne s’arrête pas là. Le collège a besoin d’accompagnant éducatif pour les études du soir et l’internat ? Qu’à cela ne tienne. Si Mathieu y trouve du sens, il se lance.
Aujourd’hui, il cumule donc plusieurs missions au sein de cette même structure : AESH, AED sur les études et l’internat le soir. Pour autant, la réflexion et l’analyse sont présents chez lui, qui l’amènent parfois à conseiller aux jeunes qu’il côtoie là-haut de ne pas hésiter à lui signifier quand ils ont assez de le voir…
Des fondations solides
Vous comprendrez que le présent portrait est celui d’une personne qui ne reste pas longtemps en place.
Boulimique de travail ? Peut-être un peu…
Engagé et volontaire ? Assurément.
Modeste ? Toujours.
Mathieu est de ces personnes qu’on ne remarque pas au premier coup d’œil. De ceux « qui n’offrent pas leur cœur en couverture des magazines ». Pas de fanfaronnade, pas d’outrance. Plutôt une saine retenue. En revanche, quelques instants de travail partagé ou une simple discussion suffisent pour sentir la profondeur du bonhomme.
Naturellement, j’ai été amené à lui demander quel était le moteur qui permettait de tenir ce rythme intense. Sa réponse : les copains. À l’évidence, le mot n’est pas vain. Tout chez lui revient tôt ou tard à ces relations qui le nourrissent et l’enrichissent.
Une des ses plus grandes fiertés ? Que les jeunes qu’il a accompagnés voici quelques années (désormais de jeunes adultes), l’appellent et viennent chez lui passer du bon temps.
Sa façon de se ressourcer ? Passer du temps avec ses proches, dans son « garage », que l’on se doit de décrire. Ici, pas de cambouis, de sciure ou d’outils… Pas de poussière au sol non plus. Des canapés, des fauteuils, une sono. Et des étagères remplies de victuailles solides et liquides dont on sent qu’elles prennent à certains moments une grande importance. On imagine que les instants vécus ici sont une bouffée d’oxygène quand la longue semaine s’achève et que le moment vient de penser à autre chose.
Ses vacances de rêve ? N’importe où, pourvu que ce soit avec les copains.
Assurément, l’Humanisme est un de ses constituants essentiels. Comme ressource, nous venons de le voir, quand il s’agit de se reposer et de recharger les accus. Mais aussi comme objet de travail, pour faire en sorte que notre société prenne soin de ses membres, notamment des plus fragiles d’entre eux. À cet égard, Mathieu est parfois inquiet du futur que l’on prépare.
Comment nos jeunes parviendront-ils à se protéger des réseaux sociaux qui envahissent tout ? Comment les y aider dans des institutions encore moins préparées qu’eux à mener ce travail ?
Comment lutter efficacement contre les inégalités et les injustices toujours plus criantes ?
On comprend mieux alors, au-delà de ses missions professionnelles, les autres engagements de Mathieu : dans des associations d’éducation populaire, de jeunesse, d’action sociale auxquelles il s’est promis de consacrer un peu de temps, en s’en donnant les moyens par le biais de dossiers bien ordonnés. Méthodique et réfléchi avez-vous dit ?
Une histoire perpétuellement en écriture
Son chemin continue, et bien malin qui peut dire les directions qu’il prendra.
Professionnellement ? Pour l’instant, ça va. Le tour n’est pas encore complet.
S’engager sur son territoire ? Encore plus ? Différemment ? Pourquoi pas si le jeu en vaut la chandelle.
Une seule certitude : celles et ceux qui œuvrent dans l’éducation continueront à le croiser, pour leur plus grand bonheur.
Dans l’attente, revenons à l’essentiel. Nous savons toutes et tous qu’il existe dans le pays de Tarascon un espace hors norme. Un lieu de retrouvaille, d’amitié, de sincérité. Un lieu de détente aussi et de décompression après des semaines bien remplies.
« Non, ce n’est pas le radeau de la méduse… » cher à Tonton Georges…
Plutôt un « garage ressource », un « fab-lab » d’amitié, un « Accueil de Copains Multiples » attachés à l’Humain.
Il parait même qu’avec une bière fraiche, on y déguste parfois un magret au miel et au vinaigre balsamique qui en a fait se pâmer plus d’un…
Bienheureux et bienheureuses ceux et celles qui en connaissent l’adresse…
Interview et portrait réalisé par Matthieu Désarnaud