“Comment ça, comment ça, je dois faire un portrait pour la fin de la semaine ?” C’est dans l’urgence et l’inquiétude que je réceptionne cette information en provenance de Territoires Educatifs 09. Panique à bord donc, jusqu’à ce qu’on me propose de faire le portrait de Jennifer Enoff. Ce qui me rassure instantanément, sentant le potentiel très stimulant de cet échange.
Je connais Jennifer depuis seulement quelques mois mais il faut dire que nous sommes allées très vite à l’essentiel : liberté, espace, expression, poésie… Comment mettre de l’Etre dans le Faire. Comment mettre du mouvement dans nos quotidiens. Waw, ça fait du bien de rencontrer des gens comme ça. Alors voici !
Une pensée qui se nourrit du rebond
Quand on discute avec Jennifer, on parle tout aussi bien leadership que poésie, politique que jardins partagés, éducation nationale qu’urbanisme, stratégie que participation. Et on joue avec les parenthèses, on étire avec bonheur les digressions.
On sent que tout est lié dans ce monde qu’on essaie de nous vendre compartimenté. Les gens sont des mondes, des écosystèmes complexes et mystérieux. Et on les rencontre parfois si peu quand ils n’affichent que la vitrine de leur fonction…
Ce n’est pas toujours simple d’évoluer dans un univers aussi cadré qu’est celui de l’éducation nationale. Mais être en mouvement, passer d’un truc strict à un autre complètement loufoque, décliner et expérimenter ces mouvements de passages et de transition, Jennifer elle sait faire. Elle aime les convergences, les rencontres, les surprises.
Mettre de l’informel dans le formel
Dans le monde professionnel, on est vite rattrapés par le formel, le décorum, la mise en pli, le costard, le cadre. On écrit des mails comme ci, on s’adresse aux gens comme ça, on met des formules de politesse… Jennifer fait partie de celles qui n’en font pas une fatalité.
Elle s’emploie au quotidien, patiemment, à gommer les limites, à décorer les murs, à questionner nos libertés. Et je crois que ça, c’est très précieux.
Jennifer est capable de se mettre un cadre avec des contraintes terribles ! Pour se donner le loisir d’explorer et d’en sortir, d’inventer autour et partout. Pour la liberté d’Être.
La coopération, une valeur intrinsèque
A l’OCCE, elle a découvert ça : à quel point on pouvait explorer de façon inventive un cadre très formel. Cela fait bientôt 14 ans que Jennifer occupe son poste d’animatrice pédagogique active et elle fait corps profondément avec les valeurs de coopération que porte son association.
Mise à disposition par les services départementaux de l’éducation nationale, elle mesure le luxe de cette confiance qui lui est offerte par l’institution, par ses collègues enseignants, par le CA de l’association et ses partenaires.
L’OCCE est une association complémentaire de l’école. Et Jennifer, en voisine, s’appuie sur son expérience de la classe. Elle aime préparer des actions, concevoir de l’accompagnement pédagogique, penser la transmission. Elle dit que la vraie richesse de son métier, c’est de pouvoir essayer, de s’autoriser, se tromper, changer d’avis, et surtout d’inviter.
De l’école au département
La dimension départementale de l’association lui permet de penser en grand format. Son statut singulier lui donne une vraie liberté de circulation. Elle qui est toujours en mouvement dit se situer au portail de l’école. Parfois pour y rentrer, seule ou en compagnie, parfois pour en sortir, et aider à en sortir. Elle se met au service de cette circulation. Elle invite les enseignants à ouvrir leurs fenêtres, leurs portes, leurs écoutilles ! Travailler à l’OCCE, c’est être au service de ce mouvement. C’est un peu, dit-elle, du tourisme scolaire. Qui lui permet aussi de garder un contact avec les enfants. Car tout ce travail, c’est pour eux aussi, pas que pour les maîtres et les maîtresses…
Faire du monde un endroit plus poétique
L’OCCE en Ariège explore des pistes artistiques qui appellent des réponses qui sont à inventer. Jennifer aime les questions ouvertes, celles qui ouvrent sur la complexité et qui offrent la possibilité de penser avec, grâce, dans, autour. Elle ressent ça comme une nécessité.
Nous sommes dans un moment de notre histoire ou on hypothèque l’avenir. Nous avons besoin de prendre soin de nos enfants, de notre jeunesse, de nos vies. Il n’est pas question de tout peindre en rose et d’être dans l’aveuglement en cherchant à tout prix la lumière. Il s’agit plutôt de s’offrir et d’offrir la possibilité de se réjouir.
Il est primordial pour Jennifer de chercher, explorer, découvrir ce qui est de l’ordre du possible quand une interdiction est posée, d’y créer un espace de liberté, d’invention et de collectif.
Mais sans penser contre, non. Toujours créer, toujours semer, toujours offrir de l’espace et de la liberté.
Des graines, des graines, partout des graines
Alors oui, la culture ça commence avec des choses que l’on sème pour les faire pousser.
Elle parle de re-végétaliser la politique, encore pour y faire verdir des espaces dépossédés d’imagination.
Durant le confinement, dans son village, les habitants se sont mis à redécouvrir les espaces communs du village. Des poules sont arrivées, que personne ne voulait élever seul alors il a été évident qu’on pourrait faire ensemble ! La friche communale s’est transformée en jardin collectif.
Le collectif ça se cultive et on y fait avec ce qu’on peut apporter comme graines. Jennifer n’ayant pas de prédispositions pour le jardinage, elle a offert au collectif des graines d’écriture, pour inviter à écrire, comme elle le fait à l’école. Il est important de disposer d’interstices pour y semer des graines, pour y faire naître et croître des choses. La beauté n’est pas un but affiché, plutôt le confort et le bien-être.
Et là, on part !
On part dans la genèse des mots. On explore ensemble le vocabulaire. S’autoriser, c’est devenir auteur, c’est être actif. Travailler c’est le labeur du tripalium mais c’est aussi dans son origine plus ancienne un passage, un mouvement. Le travail, pour Jennifer, ça ne peut être une chose austère, sérieuse et moche. Comme tous ces couloirs vides dans les collèges, aux murs blanc cassé. Inimaginable ! Comme ces mails lisses, polis et bien léchés. Non. Jennifer aime travailler, apprendre. Mais l’action doit être créative, on joue, on s’amuse, on innove !
Et quand elle embarque pour un nouveau voyage, elle n’oublie jamais d’interpeller ses collègues. « Eh ! Je vais quelque part, c’est chouette, vous voulez venir ? »
« Je sais pas vous mais moi ça m’inspire. J’ai envie de m’offrir et d’offrir du temps. » Alors naissent les escales en poésie, les magnifiques projets intitulés « Volutes – habiter le poème »
C’est vrai ça, comment ne pas embarquer devant de telles invitations au voyage ?
Alors oui, parfois elle déroute les maîtresses mais l’égarement fait partie du voyage, et il est d’une richesse insoupçonnée.
Inspirer, transmettre
Avec Jennifer, on a des trucs en commun, c’est certain. Alors on s’est dit qu’on pourrait parler ensemble de l’éducation artistique et culturelle (EAC). Pourquoi ? Parce que nous sommes libres de le faire… Alors nous allons organiser des rencontres. Avec d’autres, avec vous. Pour faire collectif. Vous aussi, vous pouvez venir en parler avec nous si vous le souhaitez. Envoyez-nous un fax !
Et je dois avouer également, en clôturant cet article, que c’est Jennifer qui m’a inspiré ce nouveau jeu que je me suis offert :« poétisons la politique », comme évoqué dans mon portrait.
La transmission toujours, la transmission.
Alors oui, c’était une joie de portraiturer Jennifer. Et en plus, on s’est bien amusées !
Interview et portrait réalisé par Marie-Cécile Rivière