Difficile de trouver un créneau commun pour mener cet entretien, mais, avec de la persévérance, on arrive à bloquer une heure (qui devient ¾ d’heure… le temps que Fabien termine une réunion avec des animateurs du PAAJIP).
En guise de préambule, je voudrais, tout d’abord, indiquer que pour ce portrait, si j’en avais eu l’opportunité, j’aurais aimé faire celui d’une personne qui a été pour moi « inspirante » au début de cette aventure de « Territoires Éducatifs 09 » ; il s’agit d’Isabelle BOUYA.
Je ne vais pas détailler ici tout ce que je lui dois, mais elle est vraiment, pour moi, une des personnes fondatrices de notre démarche. Il y en a, bien sûr, beaucoup d’autres… (je ne citerai pas de noms de peur d’être incomplet). Mais, je souhaite ici rendre un hommage particulier à Isabelle.
Il nous faudra, peut-être, un jour, écrire « l’histoire de Territoires Éducatifs ».
Fabien, en quelques dates
Pour commencer ce portrait, je souhaiterais que tu me donnes trois dates « personnelles » importantes pour toi. Tu peux même, si tu veux, remonter au siècle dernier… !
Je vais commencer par la fin : la première date importante c’est le 1er août 2013 – date de mon embauche au FAAJIP. En 2013, je décide de quitter le monde du sport pour embrasser celui de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire. C’est un choix très fort parce que j’avais des perspectives intéressantes dans le milieu du sport et je fais le choix de partir dans une petite association de 3 salariés. Cela n’a pas été compris au sein de la Fédération Française de foot… ! Mais j’avais besoin de mettre du sens à mes engagements et c’est ce que j’avais trouvé dans la Ligue de l’Enseignement, les Francas et les PEP.
Le deuxième temps, c’est la rencontre avec Marine Bordes et Norbert Meler. J’ai découvert que, sur ce territoire, il y avait une véritable ambition politique pour les jeunes. Travailler en synergie avec Marine et Norbert Meler, qui était adjoint à l’Éducation à l’époque, pour moi cela faisait sens. Aujourd’hui cela fait 10 ans que je suis dans ces fonctions « jeunesse et éducation populaire » !
2013, c’est un changement de cap !
Autres dates importantes : les dates de naissance de mes enfants, mes deux filles – 2007 et 2011.
C’est important, pour moi qui suis très engagé dans la vie publique, elles contribuent à mon équilibre.
Lorsqu’on s’engage dans la vie publique, on est souvent « jugé » : il y a ceux qui auraient aimé faire à votre place ; ceux qui auraient aimé faire avec nous ; ceux qui ont essayé et qui n’y sont pas arrivé…
Puis, il y a aussi les échecs qu’on peut avoir ; on peut se tromper… : l’éducation populaire c’est un espace d’expérimentation. Il faut, en permanence, à la fois se redéfinir, se renouveler…
Cela veut dire qu’il y a des ruptures, des moments difficiles… et c’est important d’avoir une vraie richesse dans sa vie privée. Avec mes deux filles, c’est quelque chose qui me nourrit énormément et qui me rassure !
Comme tu m’as proposé de changer de siècle, je dirais 1905 : la loi sur la laïcité. C’est une loi qui s’inscrit dans la dynamique de la Révolution française pour l’émancipation des peuples et l’éducation des uns et des unes par les autres. C’est l’aboutissement du projet républicain.
C’est hélas, toujours d’actualité, face à l’individualisme, au communautarisme de certaines minorités qui voudraient imposer leur singularité aux autres.
Nous abordons ensuite son parcours de formation et les différentes étapes qui le jalonnent
Bac L, Maitrise STAPS “Education motricité”, agrégation d’éducation physique, prof d’EPS vacataire, CREPS d’Amiens, brevet d’état d’entraineur de foot, puis… il est engagé au Club de foot de Beauvais. Mais, dans la Fédération Française de Foot, Fabien ne trouve pas les espaces pour ses projets d’éducation…
“le cadre fédéral ne me permettait pas d’aller au bout de mes idées !”
Un homme d’engagements
Au-delà de cette cohérence de parcours qui prend appui aussi sur ces ruptures, qu’est-ce qui te porte aujourd’hui ?
Pour continuer à parler de mes engagements et pour transformer les choses, en étant au PAAJIP, je me rends compte que les politiques éducatives, ce sont les équipes de terrain, c’est les associations, les professionnels, les bénévoles, … mais, il y a un milieu où il faut que ça bouge, où j’ai envie de faire bouger les choses, c’est celui des décideurs politiques.
Et plutôt que de râler parce que rien n’est fait, que ça n’avance pas,… quand on est venu me chercher, j’ai dit « Ok, mais je viens sur les thématiques qui m’intéressent, donc sur l’éducatif ! » Que ce soit à la mairie de Foix comme au Conseil Départemental, j’ai pris les dossiers « jeunesse et sport » en main pour poursuivre la transformation, pour poursuivre mon engagement ; en me disant que je défends toujours la même cause. Quand, lors de mes prises de parole au sein de « Territoires Educatifs », on me demande d’où je parle… (en tant qu’élu de la ville ou en tant qu’élu du Conseil départemental ou en tant que professionnel) , je réponds que je parle en tant que Fabien Guichou, je suis la même personne qui dans tous ces espaces-là, défend les mêmes valeurs, les mêmes ambitions.
Mais je ne détiens pas de vérité acquise, j’essaie de m’enrichir, je suis un « faiseur », quelqu’un qui expérimente, qui discute, qui échange : je dis souvent « il faut tout un village pour éduquer un enfant » et j’essaie d’être à plusieurs endroits du village pour aider les gens qui font et j’essaie d’être de ce village-là, comme tout le monde.
Un homme de valeurs
Mon engagement aujourd’hui il est en politique, mais ce n’est pas ce qui me définit ; ce ne sont pas mes modes d’intervention qui me définissent ; ce qui me définit ce sont les valeurs que je porte ; ce ne sont pas les structures qui me définissent, c’est ce que j’y fais !
Si demain, j’arrête la politique parce que je ne me sens plus utile, si j’arrête de travailler au PAAJIP… je m’engagerai ailleurs, là où on a besoin de moi pour porter une continuité de messages, une continuité de valeurs !
Je suis défini par mes valeurs d’éducation populaire, mes valeurs républicaines,
C’est pour cela aussi que j’ai participé à l’Institut du Sénat, il y a quelques années et que j’en ai pris la présidence pendant quatre ans, pour créer un programme intitulé « Jeunesse pour la démocratie » avec des immersions de jeunes dans le Parlement. Il s’agit d’enrichir le Parlement de la vision de la jeunesse, ou plutôt des jeunesses. Mais aussi de faire comprendre aux jeunes le rôle du Parlement, que la démocratie c’est très fragile et qu’il y a des pays aujourd’hui où il n’y a plus de Parlement.
La question de l’évolution de la démocratie dans ce pays est quelque chose qui me touche, pour laquelle on doit être très vigilant. On critique toujours les élus mais le jour où ce sera « Mac Donald » ou Facebook » qui feront les lois dans notre pays, il se passera quoi ?!
Un homme de passions
Pour élargir un peu ce portait, peux-tu me dire quelles activités de loisirs tu pratiques (quand tu en prends le temps) ?
Je suis un passionné de guitare et de musique flamenco. Je joue de la guitare et de la rumba gitana. J’adore les ambiances « gipsys », les rassemblements aux Saintes Maries de la Mer… Une partie de famille est foraines et j’ai aussi des origines espagnoles : c’est quelque chose qui me nourrit, qui me rappelle mes racines.
Je suis un amoureux des Pyrénées. L’été, je pars en randonnée plusieurs jours avec mon sac à dos.
NB : tout en discutant, il joue avec un porte-clefs de la Fédération française de randonnées.
Son mémoire de maitrise STAPS s’intitulait « Histoire socio-économique du GR10 dans les Pyrénées Ariégeoises »
Je sais aussi que tu cours en montagne ; qu’est ce que tu écoutes comme musique quand tu cours ?
Quand je cours, je n’écoute rien. J’ai besoin de me ressourcer en montagne, de profiter de la nature, de son énergie. Cela me recentre énormément !
J’écoute beaucoup de musique espagnole, gitane, mais, je suis aussi un grand fan de musique électronique. Cet été, j’ai passé 3 jours au festival Insane, à Apt dans le Vaucluse qui est un festival fréquenté par 50 000 personnes autour des musiques électroniques. J’y vais aussi en tant que professionnel, j’y observe les jeunes, leurs codes, leurs goûts.
Je m’intéresse également aux comportements des jeunes en milieu festif car on a besoin véritablement d’une société qui sait faire la fête ! Une société qui ne fait pas la fête, c’est dangereux. Faire la fête, cela s’apprend, cela se transmet. Ce n’est pas pour rien qu’on a créé le festival « Foix’R de Rue ».
On a besoin d’une société qui a des « temps libérés » et d’une société qui sait faire la fête ! Et cela a tendance à disparaitre dans une société où un « bon jeune » …est un jeune qui est engagé et un jeune qui travaille. Comble de l’absurde, on a créé un concept qui s’appelle « contrat de travail et d’engagement » : cela sous-tend qu’un jeune qui ne trouve pas de travail est un jeune que ne s’engage pas et si un jeune ne s’engage pas, c’est de sa faute ! Cela donne le dispositif « un jeune, une solution » comme si pour chaque jeune il y avait un travail et une seule solution ! Aujourd’hui, il y a un mélange des genres, une confusion liée au pouvoir politique actuel.
Pour revenir sur l’importance des temps de fête, je pense que l’éducation populaire a beaucoup à apporter ; car la fête peut se faire avec les générations précédentes et les plus jeunes. Je crois que l’on doit d’avantage ritualiser ces moments de communion solidaire, ces moments collectifs, ailleurs que dans les moments de contestation, ailleurs que dans les moments de manifestation. Il faut avoir des temps de rassemblement, des temps où les gens partagent pour faire société.
Un militant de l’éducation populaire
Aujourd’hui, l’éducation populaire est connotée négativement par ceux qui nous gouvernent, elle est stigmatisée ; c’est une des raisons de mon engagement au niveau politique pour promouvoir le rôle et les enjeux de l’éducation populaire !
Ce sont aussi des espaces où on travaille la question de la liberté individuelle, mais aussi de la responsabilité collective, de l’égalité, … L’éducation populaire, c’est un projet d’émancipation et de progrès. Il faut comprendre que, pour moi, l’éducation populaire est une solution aux différentes crises qu’on traverse, la crise démocratique, la crise sociale. On sait aussi qu’on contribue, au champ économique aux côtés des collectivités.
Je me bats pour qu’au prochain cycle politique, on donne une place entière à l’éducation populaire avec un modèle économique défini entre éducation populaire et collectivité, mais pas que… !
Mais, il faut aussi que l’éducation populaire se renouvelle. Il faut que les jeunes embrassent aussi ces associations-là, qu’ils y portent des projets !
Et ça, c’est un vrai challenge !
Interview et portrait réalisés par Jean-Michel PETIOT