Dans notre logique d’élargissement du réseau “Territoires Éducatifs 09” et de la perspective des assises nationales de la jeunesse qui auront lieu en Ariège en juin prochain , Alys Planès a ici réalisé le portait d’un travailleur social de l’AIPD. Aujourd’hui les services jeunesse évoluent et sont amenés à travailler de manière collaborative avec tous les acteurs concernés. Le champ partenarial s’ouvre, il s’agit de partager ensemble une analyse des besoins, et de proposer des réponses complémentaires efficientes, de manière concertée. La personne qui se livre ici parle par conséquent davantage de sa façon de concevoir et d’exercer son métier que de sa propre histoire.
Peux-tu revenir sur ton parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?
J’ai une formation d’éducateur spécialisé que j’ai complété avec un DU (Diplôme Universitaire) d’addictologie. Cela fait de moi un travailleur social – addictologue. A la base je viens de l’éducation populaire, de l’animation, j’ai travaillé en Maison des Jeunes et de la Culture. Par la suite j’ai travaillé dans le secteur de l’enfance inadaptée puis j’ai coordonné une pension de famille accueillant des personnes adultes avec des troubles psychiatriques. Depuis, je travaille depuis plus de 10 ans au CSAPA (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) de l’AIPD09 (Association Information Prévention Addictions de l’Ariège). J’accompagne des adultes mais également des jeunes, notamment dans le cadre des Consultations Jeunes Consommateurs (CJC).
Qu’est ce qui t’as amené à ces missions en CSAPA ?
Ce qui m’intéresse dans les conduites addictives, c’est que l’on peut avoir une approche sociale, philosophiques, sociétales… C’est un domaine large qui amène des débats, qui suit les évolutions de la société. Une substance interdite devient un médicament ou l’inverse. L’addictologie draine des problématiques transversales à tous les domaines du médico-social. Tout le monde consomme ! Le comportement addictif peut être avec une substance ou sans substance. Les retraités, les jeunes, les adultes. Des consommations non problématiques festives, à des usages problématiques, tout existe.
On peut appréhender la question de l’addictologie de différentes manières : une approche par la norme, le rapport à la loi, la culture, le médical, la fête, le travail…
Du point de vue théorique, il y a beaucoup de références. Cela me fait penser à Erving Goffman (sociologue) et son livre « Stigmate ». C’est essentiel de comprendre que la substance peut faire lien dans les groupes, et amener en même temps la stigmatisation du groupe en question. C’est important de se questionner sur la signification de la stigmatisation d’une partie de la population “les personnes addicts” : qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça implique ? Par exemple, ça peut être très difficile pour un jeune de passer la porte du CSAPA, ces processus de stigmatisation apparaissent très tôt, même chez les ados. Ca complique l’accès aux soins.
Notre rôle, il est là aussi : déstigmatiser les pratiques pour faciliter l’accès aux soins!
Quels sont les moteurs qui orientent ton action ?
L’essentiel pour moi c’est la rencontre, l’accueil. C’est essentiel de comprendre l’autre, son fonctionnement, le sens de ses conduites dans la vie. On ne va pas forcément directement orienter le travail sur les conduites (addictives) en elles-mêmes. On ne juge pas, on ne donne pas de solutions toutes faites, voire même c’est pas à nous de donner des solutions. On n’est pas dans le prescriptif, ce qui est important c’est d’accueillir le jeune, de prendre le temps de le comprendre dans son rapport à la substance ou à ce qui a déclenché sa venue en CJC.
De quoi a besoin la jeunesse du Couserans aujourd’hui ? Qu’est ce qui lui manque ?
Ce serait prétentieux de parler des besoins à la place des jeunes, de ce qui leur manque. On peut quand même leur souhaiter de bénéficier de plus de place, de participer davantage à l’espace public.
Sur le territoire du Couserans il y a déjà un Service Jeunesse mais pas encore de lieu dédié pour eux. Il y a encore du chemin, sur une ville de 7000 habitants il n’y a pas de foyer-jeune comme celui du PAAJIP de Foix… alors que Saint Girons compte notamment 3 lycées avec des internats ! Les choses avancent doucement avec l’installation de la MDA et la désignation d’un référent jeunesse. Le territoire n’est pas simple. C’est encore plus compliqué sur les vallées, il y a quelque chose à inventer à ce niveau-là.
À quoi servent les Consultations Jeunes Consommateurs ?
On travaille selon trois axes :
- D’abord le jeune lui-même : on créé l’alliance, élément essentiel avant d’envisager tout changement. On évalue avec lui son comportement de consommation dans un espace sécurisé, confidentiel et sans jugement. Quel est le sens des consommations, festives, récréatives, soignantes, de fuite, d’adaptabilité ? Dans un second temps, on se met d’accord sur des objectifs thérapeutiques conjoints. Je ne dicte pas la direction unique. On sait que l’adolescence est une étape de vie propice à l’expérimentation, aux comportements à risque. On questionne, avec le jeune, comment ne pas “glisser” dans l’addiction. On travaille avec nos partenaires sur le territoire. On peut orienter les jeunes en Maison des Adolescents, vers les secteurs jeunesse.
- Le second axe est celui de l’entourage : Les parents par exemple peuvent rencontrer des difficultés, le CSAPA est aussi un lieu d’accueil de l’entourage du jeune et qui sont parfois démunis dans ces situations. C’est important de soutenir l’entourage aussi, ça participe largement au soutien du jeune.
- Le troisième et dernier axe, c’est celui de la prévention et la sensibilisation des partenaires. Dans une démarche “d’aller vers ” on fait des CJC dans les lycées ou encore des actions de prévention auprès des jeunes et des professionnels. Il est important d’aborder les conduites addictives avec les jeunes.
Ces échanges ne sont pas réservés aux “addictologies”. Les CJC sont au carrefour entre la prévention et le soin. Le terme d’addiction peut être perçu comme nécessairement “grave”, ça peut faire peur. C’est important d’être attentif à la manière dont on aborde les choses avec le jeune et son entourage. Ici c’est un SAS spécialement dédié aux jeunes, on essaie de sortir de l’aspect “maladie” et plutôt réfléchir avec le jeune à des solutions qui ont du sens pour lui.
Qu’est-ce que tu mets derrière le mot “jeunesse” ? Qu’est-ce qu’ils t’apprennent les jeunes que tu rencontres ?
J’entends une notion de potentiel, mais également une notion de vie. C’est loin de n’être qu’une catégorie sociale, c’est bien plus que ça !
Les jeunes ils m’apprennent plein de choses. D’abord je crois que c’est essentiel de leur faire confiance, de savoir repérer leur potentiel. C’est eux qui ont les solutions ! Il faut faire plus que seulement les entendre, il faut les écouter, vraiment. Les conduites addictives peuvent être utilisées comme une adaptation à l’environnement extérieur, un contexte de vie difficile.
Et toi, qu’est-ce que tu peux leur apporter ?
Dans les entretiens CJC par exemple, on donne accès à un espace sécurisé dans des conditions favorables à l’émergence de la parole, et tout cela sans jugement. Ici il n’y a pas de sujet tabou, tout peut être dit et entendu. C’est l’occasion pour eux de mettre des mots et du sens sur ce qu’ils vivent.
Quels sont les projets actuels et à venir prochainement au CSAPA ?
Déjà on fait tout ce qu’on peut pour remplir nos missions, ce n’est pas toujours facile d’accueillir les usagers dans un délai raisonnable, on a beaucoup de demandes.
Ensuite, l’AIPD09 a un projet de déménagement dans les mois qui viennent. Actuellement on est dans un appartement, c’est trop petit et pas aussi accueillant qu’on l’aimerait. L’idée c’est trouver une maison de plein pied, avec un petit espace extérieur, quelque chose de vraiment accueillant pour les usagers.
Si tu devais dîner avec trois personnes pour prendre du recul sur les CJC, qui serait à ta table ?
D’abord le président de la fédération addiction et psychologue clinicien, Jean Pierre Couteron. Il a notamment écrit “Adolescents et cannabis, que faire ?”, un manuel dans lequel il revient sur les éléments thérapeutiques et éducatifs qui soutiennent la construction de la motivation du jeune au changement. C’est très intéressant et j’aimerais échanger avec lui.
Ensuite, j’aimerais qu’il y ait des jeunes avec nous à la table. Encore une fois, il faut les écouter, c’est leur expérience et le sens qu’ils y mettent qui compte.
Et d’un point de vue plus personnel, pour le plaisir, avec qui dînerais-tu ?
Avec mes amis. Les liens, les relations c’est essentiel. On travaille dans le lien, même dans les CJC, cette question du lien avec le jeune c’est quelque chose que je trouve très important. Les conduites addictives questionnent le lien dans toutes ses dimensions. Dans la santé mentale, on parle parfois de “pathologie du lien”, matérialisée par une dépendance à l’objet d’addiction.
Pour finir, est-ce que tu as un mantra, une ligne de conduite ou quelque chose que tu te répètes pour les jours où la vie se complique ?
“Nos erreurs sont nos tremplins”. On fait tous des erreurs, la question c’est de chercher comment on s’appuie dessus pour la suite. Je travaille beaucoup dans une approche motivationnelle dans laquelle on oriente vers une lecture qui suscite de l’espoir : ne pas voir le verre qu’à moitié vide. C’est important l’espoir pour provoquer et soutenir le changement. On n’est pas dans le développement personnel mais l’idée c’est de puiser des forces chez les jeunes, de collaborer à une direction commune, des objectifs partagés.
“On a les capacités intérieures enfouies, il faut pouvoir aller les chercher”. Ça marche pour les jeunes usagers, mais ça marche aussi pour nous professionnels. Parfois, en entretien, on n’est pas au top, mais on prend le temps de revenir sur ce qui s’est passé, pour faire mieux la prochaine fois !
Interview réalisée par Alys Planès et rédigée par Juliette Geslin