Morgane et Garance ont un rêve : créer un lieu de santé en Ariège, en milieu rural, avec un regard éthique et solidaire.
Au détour du forum PETR, nous avons rencontré deux jeunes femmes surprenantes qui nous ont raconté leur projet ambitieux de “tiers-lieu santé”. Leur proposition innovante est d’intégrer un centre de santé pluridisciplinaire dans un lieu citoyen. Ce lieu citoyen, ou encore « Tiers-Lieu », proposera des jardins partagés, un café associatif, des conférences, un accès au numérique et des ateliers divers.
Un projet qu’elles font émerger en équipe avec le soutien d’une pépinière d’entreprise. Cette idée peu commune, elles rêvent de la réaliser dans l’un des nombreux déserts médicaux de l’Ariège…
Partir pour se redécouvrir
“Je m’appelle Garance, je viens d’Anduze, dans les Cévennes et je suis orthophoniste depuis 3 ans.
Au début, j’ai adoré ce métier, la découverte, la possibilité de voyager et faire des remplacements… Puis, au bout d’un an, je suis rattrapée par les limites du libéral : l’isolement qu’il créé pour les professionnel.les, le manque de travail d’équipe, la gestion de situations qui nous dépassent. Par exemple, se sentir démunie face aux aidant.e.s des personnes que l’on soigne, car cet.te aidant.e est aussi une personne en souffrance.
C’est à peu près à ce moment-là que j’ai rencontré Morgane, elle aussi orthophoniste en libéral, installée à l’époque à Marseille et que nous avons commencé à échanger sur ce sujet, en questionnant le sens de ce que nous faisions et comment nous le faisions.
Cette remise en question nous laissait deux options : quitter le métier ou changer la façon dont nous le pratiquions. Le nombre de collègues thérapeutes renonçant à l’exercice de leur pratique explosait.
Mais comment pratiquer autrement ? Que peut-on offrir de mieux à notre patientèle ? Comment prendre en main sa santé ? Comment mieux accompagner l’entourage face à la maladie ou face au handicap ?
Nous avons décidé de faire un tour de France des lieux qui touchaient de près ou de loin à la santé : du maraichage à la Forest school, aux centres de santé communautaires, en passant par les maisons de santé classiques.
C’est à cette période qu’on a découvert le concept de tiers-lieux et que nous avons réalisé que c’était ça l’idée, un lieu qui existe par et pour les citoyen.nes, qui créé du lien…
Aucun lieu en France ne fait cohabiter centre de santé et tiers-lieu, alors nous avons décidé de le créer.
Constatant le nombre de déserts médicaux subis par l’Ariège et notre attrait pour la ruralité, nous avons choisi ce territoire en juillet 2021 pour y implanter le projet. L’accueil de la population y a été très encourageant.
En octobre, Claire van Eeckhout (médecin), Maylis Lemouland (naturopathe) et Emilie Lafosse (coordinatrice de Tiers-Lieux) rejoignent le projet. Le projet initialement appelé “Les Clés” devient “Les Clés-Rièrent”. Une association à but non lucratif est créée en janvier.”
Une toute autre vision de la santé…
“La santé, c’est une approche globale, ça ne “se limite pas à l’absence de maladie, c’est un état complet de bien-être physique, mental et social “, c’est la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) “, nous explique Morgane.
Alors voilà, notre idée c’est de créer un “tiers-lieu santé” : un lieu qui appartienne aux habitant.es (d’un village, d’un quartier…) et qui réponde à leurs besoins. Un lieu dont ils s’emparent et qu’ils animent, quelque chose de concret qui vive davantage le week-end que la semaine.
« Le docteur est pressé, le soignant est patient »
Martin Winckler
C’est aussi un endroit dans lequel les soignant.es ont le temps, l’énergie et les ressources de faire leur travail de façon plus humaine et avec une relation de confiance entre les thérapeutes d’une part et entre les thérapeutes et les patiente.s d’autre part.
Une confiance mutuelle, car nous pensons que la relation soignant.e – patient.e telle qu’elle est pensée aujourd’hui met principalement les gens face à leurs difficultés. Ce qui nous anime dans notre rôle, c’est la possibilité de s’appuyer sur ce qu’ils savent faire pour les aider à reprendre confiance en eux par le soin, le lien citoyen, le sentiment de faire partie d’un tout.
« Les médecins qui veulent le pouvoir font tout pour l’obtenir.
Martin Winckler
Ceux qui veulent soigner font tout pour s’en éloigner »
C’est aussi un lieu où l’on se permettrait d’expérimenter et où l’on remettrait en question notre posture de soignant.es pour apprendre les un.es des autres. Nous ne prétendons pas avoir raison et détenir le seul modèle juste et bon, nous pensons plutôt qu’une offre de soin variée sur un territoire permet à la population d’avoir le choix.
Par exemple, ça pourrait donner des histoires comme…
- Odette, 78 ans, qui viendrait pour sa rééducation suite à son AVC : elle consulterait sa médecin, son orthophoniste, sa kiné…Et pourrait ensuite retrouver d’autres personnes du village pour jouer avec eux une partie de Rami dans la salle de convivialité.
- Au même moment, les parents d’Aubin, un enfant porteur d’un handicap moteur depuis sa naissance, prennent un café avec d’autres parents d’enfant porteurs de handicaps en attendant que celui-ci ait terminé sa consultation. C’est un moment important pour eux car ça leur permet de partager leurs difficultés et d’évacuer un peu de stress.
- Théo, le nouveau maraîcher du village vient deux à trois fois par semaine vendre ses productions bio dans ce lieu et il anime parfois avec Maylis, la naturopathe, des ateliers cuisine végétarienne.
“La peur de l’inconnu est la limite de l’innovation”
Joël FANGBE
“Pour le moment, on passe beaucoup de temps à expliquer notre vision de la santé aux partenaires, aux associations, aux futures parties-prenantes et pourquoi nous pensons qu’une forme hybride centre de santé/ tiers-lieux peut répondre de manière efficace à la problématique des déserts médicaux mais aussi contribuer à une dynamique citoyenne et culturelle sur le territoire.
Le projet étant innovant, il n’est pas toujours compris. On voudrait reconstruire un système plus équilibré dans lequel chacun.ne se retrouve. Cela signifie aussi pour nous de renoncer à un chiffre d’affaire confortable pour retourner sur un système de salariat et de bénévolat, mais c’est le sens qui nous anime.”
L’association Les Clés-Rièrent sont à la recherche de locaux pouvant accueillir le projet (environ 300m2 avec un extérieur) et souhaitent échanger autour des différentes possibilités (location, prêt, etc.).
Les initiatrices du projet souhaitent agir en collaboration avec les municipalités, associations, travailleurs.euses indépendant.es, et soignant.es de la commune sur laquelle le projet s’implantera, mais surtout avec la population qui sera la première à faire vivre et créer ce lieu innovant.
Une belle opportunité pour qui cherche à revitaliser sa ville ou son village !
Contact: cles-rierent@mailo.com – Garance FAFA et Morgane LAVAYSSIERE – 06 85 93 69 00