La semaine dernière, dans le cadre d’une réunion de co-construction d’une politique de jeunesse à l’échelle d’une commune, nous avons été confrontées à l’expression forte du mal-être des professionnels en présence.
Educateurs, assistants sociaux, animateurs, directeurs de structures éducatives et sociales, services éducatifs et sociaux communaux ou départementaux…le constat était unanime : une situation qui se dégrade, tant pour les usagers que pour les professionnels !
Au rang des causes avancées : la marchandisation du travail social, des injonctions déconnectées du réel, un manque de reconnaissance, des commandes publiques de plus en plus directives, une incohérence entre temps prescrit auprès d’un usager et temps réel nécessaire pour répondre à ses besoins, des dispositifs préconstruits imposés par le haut et hors-sol par rapport au terrain…
Le travail éducatif et social ne peut bénéficier du même traitement que le monde de l’entreprise : appels d’offre, règlementations pointilleuses, référentiel qualité…autant de taches supplémentaires qui éloignent les professionnels du contact direct privilégié avec les publics qui est pourtant l’essence de leur métier.
Or le travail social et éducatif se reconnait et se définit dans la relation à l’autre.
Pour conséquence : la perte d’une identité, d’un savoir-faire qui s’appuie sur des années d’expérience et d’engagement au plus près des problématiques des publics accompagnés.
Et une dérive pour les professionnels : l’impression de ne plus être à la hauteur des situations, entrainant la naissance d’un sentiment de culpabilité.
Savoir quels sont les besoins et ne pas être écoutés, entendus, voire être muselés dans leur expression par des pressions de plus en plus nombreuses…tels sont les ressentis exprimés.
Tiraillés entre commandes institutionnelles et demandes des jeunes et des populations, chacun se sent coincé, étouffé, en désaccord avec ses propres valeurs et en perte de sens permanent.
L’accablement est grand et l’amertume s’exprime :
« On est en train de perdre tous les piliers de notre société » dira une participante,
« on court à la catastrophe sociale ».
En uniformisant les appels à projets et les dispositifs, en mettant en concurrence, en ouvrant aux marchés sous prétexte que d’autres sont capables de faire mieux, on crée de l’instabilité et de l’insécurité.
Dans la période que nous traversons, n’est-il pas urgent de sortir du silence et de la résignation ?
Ce jour-là, les professionnels avaient répondu à l’invitation de la collectivité. Ils étaient là, avec ce besoin de dire, mais en même temps avec cette envie de croire en un autre possible, de rechercher des alternatives.
Il est par conséquent de notre devoir collectif de valoriser et de sécuriser leurs savoirs pratiques !
Ne pouvons-nous par conséquent nous saisir des espaces ouverts, des interstices laissés et s’autoriser des marges de manœuvres, créer, inventer, occuper l’espace et redonner la place à l’expression de services publics investis et d’initiatives associatives désintéressées ?
La consolidation des alliances entre professionnels, entre usagers et professionnels, est incontestablement une solution pour aller vers cette voie.
Nous pourrons ainsi collectivement, mais seulement collectivement, contrer le rouleau compresseur de la marchandisation et changer ou contribuer au changement de cadres institutionnels pour retrouver de l’intérêt commun.