Dans le cadre de l’expérimentation “jeunes en milieu rural” Ashot Zakaryan, jeune volontaire en mission de service civique, est amené à rencontrer des jeunes ariégeois dans le but de montrer la richesse dont dispose le département de l’Ariège, au travers de sa jeunesse.
Cette initiative devrait donner naissance à un journal ayant le même objectif, mais réalisé par des jeunes.
A compter de ce mois de décembre par conséquent, nous présenterons chaque semaine sur le site internet de la plateforme “Territoires Educatifs” un portrait réalisé par Ashot.
Ils seront systématiquement suivis d’une expression libre d’Ashot qui nous donne sa propre lecture de ces parcours et les réflexions qu’ils éveillent en lui.
Voici donc le premier portrait réalisé : celui de Philémon.
Prélude
Depuis que j’ai commencé à interviewer des jeunes, maintes fois, j’ai été touché par leur sensibilité, leur compréhension du monde et la richesse que chacun véhicule en lui.
Pour cet interview, je suis allé à la rencontre de Philémon, de son nom d’artiste : Phil, un jeune homme de 21 ans, habitant au Fossat.
En faisant son portrait, j’ai eu envie de montrer la personne qu’il est mais aussi de vous faire connaître la vie d’un jeune rappeur, passionné de la langue Française et qui en fait un art renouvelé.
Déterminé à prendre son envol dans la vie, il s’est rapproché de la Fabrique à Projets, pour y parvenir et c’est avec enthousiasme et détermination qu’il est accompagné par Pauline et Camille, référentes de l’expérimentation « jeunesse en milieu rural » sur la communauté de communes Arize/Lèze.
Quand on se cherche…
Philémon vit en Ariège depuis sa plus jeune enfance. Il a toujours eu des facilités à l’école, à tel point qu’il saute le CM1 pour se rapprocher plus vite du collège.
A partir du Lycée, il commence à perdre pied, se couche tard. Il se plonge dans différents univers virtuels et va vers quelques fréquentations qui le poussent à décrocher. Il ne pense même plus aux examens qui approchent, cependant, ses capacités lui feront obtenir son Bac scientifique sans avoir vraiment révisé.
Il n’a pas encore 17 ans et sa vie étudiante commence déjà; c’est tout naturellement qu’il va vers l’université. Mais là, ce sont deux années d’études en biologie et une année en informatique qui vont se terminer par un décrochage total cette fois-ci. Attiré initialement par les sciences et un idéal de « petit chimiste » qu’il s’en faisait, il découvre que son esprit est davantage littéraire.
Avec le recul, il finit par comprendre que ce n’était pas une erreur de parcours mais une leçon de vie, car c’est grâce à ces années-là, enfermé dans sa chambre devant des mangas et des jeux vidéo, qu’il va découvrir sa véritable passion pour l’écriture et la musique : ”Rapper, ça m’a ouvert les yeux”, dira-t-il.
Aujourd’hui, il s’investit toujours dans la musique et il a même formé un groupe avec ses amis : « La fine lame ».
Ensemble, ils ont déjà participé à des scènes ouvertes locales (Première partie de concert de la Block Party 2020, du JEEK…)
Un artiste maniant les mots et les figures de style avec classe !
Écouter la musique de Philémon, c’est à la fois rire, sourire, être étonné par son aisance des mots et son “arsenal de rimes”, comme il s’amuse à le décrire !
“Ce qui m’amuse c’est de mettre plusieurs sens à mes phrases, des doubles sens, voire triple sens parfois ; j’aime découper les syllabes, poser une anaphore…”
Dans ses vidéos, il lui arrive de proposer à son public sur les réseaux sociaux des petits jeux où il compose des textes à partir du vocabulaire proposé dans les commentaires. Il s’est aussi amusé à “cuisiner un refrain” partie 1 et partie 2.
Il m’a semblé que le rap n’était pas pour lui un simple moyen de divertissement. C’est à travers le rap qu’il a approfondi sa connaissance des nuances et des contours de la langue Française. J’ai compris en faisant sa connaissance que les rappeurs sont des artistes à part entière, qui se réapproprient la langue Française.
Ariégeois pour toujours ?
Après avoir quitté l’université à Toulouse, il est de retour en Ariège, où il trouve le soutien de ses parents et il se rend compte qu’il s’y sent bien.
“Humainement vivre à la campagne, c’est plus riche : faire ses courses dans les environs, acheter ses œufs chez le fermier. Il y a moins de stress, moins de publicités dans tous les coins de rue”
Tout à la fois, dans un coin de son esprit, il sait que, dans le futur, il devra obligatoirement “passer par la case Toulouse” afin de créer un réseau et de participer à des événements en lien avec la musique qu’il aime.
Trouver du sens c’est se permettre d’avancer
Depuis son retour en Ariège, malgré le fait qu’il vive en zone rurale isolée (Le Fossat), il s’est donné les moyens d’avancer, de s’émanciper. Il travaille dans une école primaire. Pour le moment, le métier d’animateur ne lui permet pas de vivre en autonomie et de se détacher de ses parents, mais il aime beaucoup ce travail et l’échange que cela lui permet d’avoir avec les enfants.
“Tu peux discuter de tout avec les enfants (…) on devrait être davantage éveillé sur le monde, compassionnel et communiquer d’une manière non violente.’’
Les réactions d’Ashot
C’est après un certain temps d’échange que les langues se sont déliées, que Philémon s’est livré un peu plus et que j’ai pu découvrir une part plus sensible de ce personnage touchant et talentueux : la véritable personne au-delà de son côté artistique.
Quand je lui ai demandé ce qu’il pensait de manière générale du monde, il m’a répondu qu’il n’aimait pas trop y penser…
“J’ai peur que ça me touche trop, et d’être obligé d’en parler”
Une phrase forte, qui ne témoigne pas d’un désintérêt de la part de ces jeunes qui n’osent même pas parler de ces enjeux qui les perturbent pourtant beaucoup. La peur de se laisser envahir par d’innombrables questions, de se sentir impuissant, seul, car les enjeux qui attendent les générations futures représentent un poids immense pour elles et c’est un fait pleinement mesuré. Alors, lorsqu’on ne trouve pas l’espace pour en parler, le repli semble être l’option choisie.
Une leçon…
Après ces riches entretiens, je suis moi aussi touché. Touché de reconnaître à quel point, je pourrais passer à côté des personnes comme Philémon sans jamais m’arrêter, si je n’avais pas eu pour mission de l’interviewer. Ces échanges sont aussi des leçons à travers lesquelles j’apprends à écouter, recevoir et mettre de côté mon agenda pour mieux voir la personne que j’ai en face de moi.
Difficile de vous faire part, à travers ces quelques envolées lyriques, tout le potentiel de ce jeune homme.
Je découvre à travers les entretiens que je réalise, que pour toucher la richesse des personnes comme Philémon, cela demande une attention particulière.
Je suis sorti de cet entretien avec Philémon, avec l’espoir et le souhait que ce jeune atteigne et réalise tous ses rêves et que l’environnement que nous composons tous lui permettre de le faire.